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Face
à l'aggravation des inondations, repenser l'affectation des
terres et des sols
Des
Haïtiens tentent de sauver quelques biens, après le
passage de quatre cyclones qui ont dévasté
l'île.
Depuis plusieurs semaines, des inondations dévastent de
nombreuses régions du monde. En Inde, le bilan officiel fait
état de près de cent cinquante morts et de
millions de sinistrés. En Afrique de l'Ouest, une
quarantaine de personnes sont mortes et 130 000 auraient
été affectées. En Haïti, les
inondations et coulées de boue consécutives au
passage des tempêtes tropicales Fay, Hanna, Gustav et Ike ont
provoqué la mort de plusieurs centaines de personnes et en
ont touché près d'un million d'autres. La
Grande-Bretagne et le Vietnam ont également
été frappés, mais dans des proportions
moins importantes.
Au-delà des pertes humaines, les conséquences
sont multiples : destruction d'habitations, d'infrastructures, de
récoltes, diffusion de maladies hydriques comme le
choléra, déplacements de populations... "De
nombreuses personnes perdent leurs moyens de subsistance. Elles sont
contraintes de quitter leur lieu de vie et de vendre tous leurs biens
ou d'emprunter de l'argent, simplement pour se nourrir, explique Colin
Green, du Centre de recherche sur les inondations, basé
à l'université du Middlesex, en Grande-Bretagne.
Elles peuvent mettre des années à se remettre,
voire ne pas se remettre du tout." D'autant plus que les personnes
touchées, qui résident dans des zones
vulnérables où le prix du logement est bas, sont
également les plus pauvres.
Les inondations sont chaque année plus nombreuses, et cette
évolution devrait se poursuivre. En 1990, le Centre de
recherche sur l'épidémiologie des
désastres (CRED) en avait dénombré une
soixantaine, contre plus de 200 en 2007. Pour cette dernière
année, elles ont provoqué 8 500 morts,
affecté 177 millions de personnes et ont causé
des pertes évaluées à 17 milliards
d'euros.
Plusieurs facteurs expliquent cette tendance, en premier lieu le
changement climatique. "Le cycle de l'eau est la partie la plus
sensible du système climatique, explique Andras
Szöllösi-Nagy, chef du programme hydrologique de
l'Unesco. Sous l'effet du réchauffement des
températures, il pourrait être en train
d'accélérer."
Les
conséquences de ce phénomène sur
la distribution des précipitations sont discutées
au sein de la communauté scientifique, mais un consensus se
dégage sur la probabilité de subir plus
fréquemment des pluies intenses, et donc des inondations.
Parler de crue décennale ou centennale n'a plus de sens,
proclament les hydrologues.
D'autres évolutions augmentent les risques. Le
bétonnage des sols lié à
l'urbanisation et la déforestation accentuent le
ruissellement des eaux. Les pratiques agricoles intensives peuvent
entraîner une imperméabilisation des sols. "La
capacité du milieu naturel à stocker l'eau a
diminué", résume Jakob Granit, de l'Institut
international de l'eau de Stockholm. Et sous l'effet de la croissance
démographique, les zones inondables sont de plus en plus
peuplées, ce qui augmente l'impact des catastrophes.
"La protection contre les inondations doit être
renforcée", affirme M. Szöllösi-Nagy.
Comment faire face ? "Il faut mieux contrôler l'affectation
des terres : planifier l'extension des villes et la localisation des
industries en fonction des risques", répond Avinash Tyagi,
directeur du climat et de l'eau à l'Organisation
météorologique mondiale (OMM). Les
infrastructures peuvent également être
adaptées : habitations et routes peuvent être
surélevées, par exemple.
La création de réservoirs souterrains et de
barrages est également souhaitable. "Il y a eu un grand
mouvement d'opposition aux barrages, poursuit M. Tyagi. C'est dommage.
Ils ne constituent qu'une partie de la solution, mais ne doivent pas
être écartés." Leur
bénéfice est double : ils permettent de
contrôler les crues et de stocker l'eau qui fera
défaut pendant les périodes sèches.
"L'Europe exploite son potentiel de stockage des eaux à
hauteur de 70 à 80 %. En Afrique, ce chiffre n'atteint que 5
ou 10 %", remarque M. Granit.
Le reboisement de sols nus, la végétalisation des
toits, la généralisation de revêtements
perméables dans les villes permettraient en outre de limiter
le ruissellement. Enfin, la planification des procédures
à suivre en cas d'inondation est essentielle. "Les gens
doivent être prévenus le plus vite possible et
savoir à l'avance ce qu'ils doivent faire, affirme Avinash
Tyagi. Cuba a mis en place une procédure efficace,
contrairement à Haïti, ce qui explique
l'écart dans les pertes subies."
Le principal obstacle à la prévention est le
manque d'argent. "Tout dépend du niveau de
développement, remarque Salif Diop, du Programme des Nations
unies pour l'environnement (PNUE). Pour se préparer, il faut
des moyens et de l'espace."
L'intérêt pour le sujet fait trop souvent
défaut. "Il y a un manque de volonté politique,
confirme M. Tyagi. Les gouvernements ont des priorités plus
immédiates à gérer. Et les populations
vulnérables, pauvres et peu éduquées,
n'ont pas un poids politique suffisant pour se faire entendre."
Gaëlle Dupont - Le Monde du 29/12/2008
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